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Œuvre "Le Capitaine est parti déjeuner et les marins se sont emparés du bateau" : 17 résultats (sur 3396 citations)

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27.2.93  Minuit 56

  Le capitaine est parti déjeuner et les marins se sont emparés du bateau.
  Pourquoi rencontre-t-on si peu de gens passionnants ? Comment est-ce possible dès lors que nous sommes des centaines de millions ? Sommes-nous donc condamnés à souffrir, tout au long de notre vie, la compagnie de sombres brutes ? Dont la Violence semble être l’unique motivation. Comme s’ils n’étaient bons qu’à ça. Et ne pouvaient différemment s’épanouir. Mais outre qu’elles puent la merde, leurs fleurs nous pourrissent le moral. L’ennui, c’est que je dépends du bon vouloir de ces mectons. Si je désire qu’on modifie mon installation électrique, qu’on répare mon ordinateur, qu’on débouche mes toilettes, qu’on me livre une nouvelle voiture, qu’on m’arrache une dent ou qu’on me coupe un morceau d’intestin, me voici contraint d’entrer en relation avec eux. Les nécessités du quotidien font que je dois en effet me connecter avec ces jean-foutre, même s’ils m’épouvantent. Et dites-vous bien que je n’emploie ce verbe – épouvanter – que par courtoisie.
  […]

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6.11.92  Minuit 08

  Au début de la soirée, je me suis senti amer, découragé, déboussolé, rongé jusqu’à l’os. Mon grand âge n’explique pas pareille débandade même s’il en est l’une des causes. J’en rendrais plus volontiers responsable la conviction que la foule, la multitude – cette Humanité avec laquelle je n’ai cessé d’entretenir des rapports conflictuels –, en un mot, la masse, s’apprêtent à me damer le pion. Et ce sans s’être un seul instant donné la peine de changer sa manière de faire. Car la foule n’invente jamais. Et rien ne peut lui titiller l’âme. De sorte qu’elle m’aura contraint à la fuir sans relâche, mais qu’elle va quand même me passer par-dessus. S’il m’avait été donné, une seule fois, de rencontrer UN être vivant en mesure de faire ou de dire quoi que ce soit qui sorte de l’ordinaire, je me serais promptement rangé à ses côtés. Mais la foule ânonne et sue la bêtise. Elle n’est porteuse d’aucun espoir. Elle voit, elle entend, elle parle, elle crie mais pour quel résultat… sinon le néant ? Elle voudrait incarner la vie alors qu’elle se recroqueville sur elle-même en s’inventant un pouvoir illusoire.
  […]

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  Allons, debout ! Sur le parking, j’ai récupéré ma caisse et me suis tiré. Il n’était que 4 heures de l’après-midi. Formidable ! Je roulais au pas. Au milieu de tout un peuple qui se traînait pareillement. Nous ne valons pas mieux que des escargots en balade sur une feuille de laitue.

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Après avoir fait son choix, monsieur mon voisin entreprend la serveuse. Sur le championnat de football. Il m’arrive de regarder des matches à la télé, mais je me garderais bien d’en parler dans un lieu public. Eux, non, ils se renvoient la balle comme si de rien n’était. Passent tout en revue. Leurs joueurs préférés. Les chances de chaque équipe, etc. Ce n’est pas fini, depuis son box un tiers se mêle à la conversation. Au vrai, ça ne me les briserait pas si l’autre enfoiré ne me serrait d’aussi près sur ma droite. Le glandu dans toute sa splendeur. L’amateur de foot. Pétant de santé. Un américain. Assis à côté de moi. Qu’il crève !

littérature

Disant cela, je ne sacralise pas la littérature, j’affirme simplement qu’elle se confond avec ma vie.

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Du diable si je parviens, même après y avoir réfléchi, à donner du sens à cet incident !

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  « Écoute, mon chou, ça rime à quoi, toute cette singerie ? N’as-tu pas compris que la nature nous manipule ?
  — Explique-toi.
  — Réfléchis, trésor. Et pense à deux mouches qui baisent. Tas quand même déjà vu un truc de ce genre ?
  — TOI, T’ES SIPHONNÉ MAXI ! JE ME CASSE, DUCON ! »
  Attention danger ! Pousser trop loin l’auto-analyse vous condamne tôt ou tard à vous retirer de la vie active, à ne même plus bouger le petit doigt. À l’instar de ces solitaires qui s’assoient sur une colonne de pierre et qui n’en bougent plus. Mais peut-on, pour autant, les qualifier de sages ? Permettez-moi d’en douter. Certes, ils se sont débarrassé de l’évidence, mais n’est-ce pas parce qu’une force obscure les y a contraints ? En ce sens, ils ressemblent à la mouche qui se baiserait elle-même. Il n’existe pas de solution miracle, action et inaction s’équivalent. Aussi ne reste-t-il à l’écrivain qu’à mettre sa peau sur la table : qu’importe sa façon de se mouvoir sur l’échiquier, de toute façon il finira échec et mat.

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  Il n’y que dans ce petit bureau du premier étage que je me requinque, que mon corps vieillissant et que mon âme, qui ne l’est pas moins, se rafistolent alors que j’écoute la radio. Ici, je suis enfin à ma place. C’est comme ça. Et pas autrement.

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Ils semblent être en vie, mais ce n’est qu’une façade. Derrière leurs tables, dans leurs box, ils s’écoutent parler, tout en s’empiffrant.

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  Je dois avoir le cuir trop râpé pour fréquenter les cocktails et faire des phrases sur n’importe quoi. Les humains que je croise sur les champs de courses et autoroutes, dans les stations-service, les supermarchés et les cafétérias, etc., me suffisent amplement. Leur indifférence me sied. Alors que, dans un cocktail, je me fais l’effet d’être maso, même si on me sert à boire gratos. Ça ne marche jamais pour moi. Je suis trop fragile pour me soumettre à pareille épreuve. Les gens me pompent. Je ne recharge mes batteries qu’en les fuyant. Où suis-je le mieux, sinon tassé sur mon fauteuil, un beedie au coin des lèvres et l’œil rivé à l’écran ? Rencontrer un être d’exception, ou même pas trop nul, tient du miracle. En règle générale, l’inconnu qui vous aborde fait plus que vous prendre la tête, il vous laisse sur le carreau. De quoi vous transformer en vieil atrabilaire que tout exaspère. Ce pouvoir de nuisance est à la portée du premier venu, et comme ils sont légions, au secours !

musique

  Je ne respirais qu’en compagnie des morts, écrivains ou musiciens. À leur contact, la solitude me pesait moins. Sauf que les livres débordant d’énergie et de mystère ne sont pas si nombreux et qu’il arrive un moment où on les a tous lus. Voilà pourquoi la musique classique aura constitué mon ultime refuge. Je passais des heures – et sur ce point je n’ai pas varié – l’oreille collée au poste de radio. Découvrais-je un morceau nouveau, qui témoignait de la puissance de son créateur, que j’en étais émerveillé – ce qui m’arrive encore assez souvent aujourd’hui. Tenez, tandis que j’écris ce que vous êtes en train de lire, j’écoute une pièce dont j’ignorais jusqu’alors l’existence. Je me repais de chacune de ses notes, mon être tout entier vibre à l’unisson. Quand je songe, par exemple, à ce que les siècles passés recèlent de trésors, je suis saisi d’une émotion à nulle autre pareille. Ah ! pouvoir enfin pénétrer le secret de ces âmes indomptables ! Les mots me manquent pour exprimer ma pensée, disons que la musique m’aura offert la félicité, que je m’en nourris, que j’en suis transporté, et que je lui en rends grâce à chaque instant. Je n’ai jamais écrit une seule ligne sans que la radio ne soit allumée, la musique participe de ma création, l’oreille écoute tandis que la main peine à creuser son sillon. Un jour peut-être, quelqu’un se piquera de vouloir me démontrer pourquoi la musique classique me fait l’effet d’un Miracle permanent. Je doute qu’il y parvienne. Les prodiges ne s’expliquent pas. Mais pourquoi, oui pourquoi, les livres sont-ils dénués de ce pouvoir ? Qu’est-ce qui cloche avec les écrivains ? Pourquoi en existe-t-il si peu qui vaillent qu’on s’y arrête ?

écriture

Laissez-moi vous dire une bonne chose : je ne sais rien d’aussi sinistre que la perte de ce que l’on vient d’écrire. Réflexion faite, j’ai également paumé des pans entiers de mon roman. Tout un chapitre. Que croyez-vous que j’ai fait. Me le suis refarci en maudissant le ciel. N’empêche que lorsque ça vous arrive, si vous ne retrouvez plus, tels quels, les petits éclairs précédents, vous y gagnez au bout du compte puisque, en repartant de zéro, vous écartez sans hésiter les lignes qui ne vous plaisaient qu’à moitié et introduisez les ajouts qui améliorent l’ensemble. Pardon ? Forcément que ça vous prend le reste de la nuit. Le temps que les oiseaux s’éveillent. Que votre épouse et les chats se disent que vous avez à jamais perdu l’esprit.

misanthropie

Le meilleur lecteur ou, pour tout dire, le meilleur être humain, mâle ou femelle, est celui qui vous gratifie de sa non-présence.

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On a dû repasser chez notre chauffeur d’un soir, il nous a présenté sa compagne, on a fait risette à leur bébé, puis on est tous montés dans la limousine. Le minibar a facilité les échanges. Le concert avait lieu au Dodger Stadium. On est arrivés en retard. Les rockers avaient déjà sorti la grosse artillerie, la sono crachait un max, 25 000 personnes. Pour vibrer, ça vibrait, mais il y manquait le souffle du génie. Honnête mais simpliste. Je veux bien croire que les paroles des chansons déménageaient, encore aurait-il fallu que je puisse distinctement les entendre. Cela dit, il devait être question d’une Juste Causse, du Respect des Libertés, de l’Amour qui ne dure qu’un temps, etc. Les fans ne fonctionnent qu’à l’antibourgeois, antiparents, antitout. Sauf qu’en dépit de leurs proclamations, un groupe qui ramasse les millions à la pelle APPARTIENT FORCEMENT À LA BOURGEOISIE.
  Juste avant le dernier morceau, le leader du groupe a réclamé le silence : « Nous dédions ce concert, a-t-il déclaré, à Linda et Charles Bukowski. » 25 000 furieux ont aussitôt applaudi comme s’ils savaient qui on était. À mourir de rire !

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Pour eux, c’est simple, on perd son âme en face d’un écran. Farceurs, va ! Où ne la perd-on pas ?

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  Se lamenter sur un cadavre est aussi inconséquent que de verser des larmes sur une fleur qu’on vient de couper. L’horreur, ce n’est pas la mort mais la vie que mènent les gens avant de rendre leur dernier soupir. Ils n’ont aucune considération pour elle et ne cessent de lui pisser, de lui chier dessus. Des copulateurs sans conscience. Ils ne s’obsèdent que sur la baise, le cinoche, le fric, la famille, tout ce qui tourne autour du sexe. Sous leur crâne, on ne trouve que du coton. Ils gobent tout, Dieu comme la patrie, sans jamais se poser la moindre question. Mieux, ils ont vite oublié ce que penser voulait dire, préférant abandonner à d’autres le soin de le faire. Du coton, vous dis-je, plein le cerveau ! Ils respirent la laideur, parlent et se déplacent de manière tout aussi hideuse. Faites-leur donc entendre de la bonne musique, eh bien ils se gratteront l’oreille. La majeure partie des morts l’étaient déjà de leur vivant. Le jour venu, ils n’ont pas senti la différence.

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  Traversant la rue, notre voisin d’en face nous rejoint. On se serre la main. Lui et moi, on s’est souvent soûlés ensemble. On lui raconte ce qui vient d’arriver à Charley. Et chacun de s’étonner que sa famille le délaisse autant. Quoique, nous-mêmes, on ne se soit guère plus occupés de lui.
  « Faut que vous veniez voir ma cascade, s’exclame notre voisin.
  — D’accord, on y va. »
  On traverse sa maison, croisant au passage sa femme et ses gosses, et par la porte de derrière on pénètre dans l’arrière-cour, on dépasse sa piscine et on découvre tout au fond sa GIGANTESQUE cascade. Tombant du haut d’une falaise bien qu’il semble qu’une partie de l’eau sorte d’un tronc d’arbre. Un monument. Construit avec de très gros et très beaux rochers de différentes couleurs. Sous la lumière des projecteurs, des torrents rayonnants font entendre leur musique fracassante. On a peine à y croire. Sur le côté, un ouvrier en surveille, malgré l’heure, la bonne marche. Avec ce genre de fantaisie, on ne doit jamais en avoir fini.
  J’en serre cinq à l’ouvrier.
  « Il a lu tous vos livres, dit le voisin.
  — Vous déconnez ou quoi ? »
  L’ouvrier se fend d’un grand sourire.
  Après quoi, on fait machine arrière. « Que diriez-vous d’un verre de vin ? », propose le voisin. Je décline l’invitation. Rapport à mon mal de gorge et à ma migraine persistante, lui dis-je.
  Linda et moi retraversons la rue et réintégrons notre home.
  Voilà comment, pour l’essentiel, se sont déroulées la journée et la soirée.