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vérité

AVENIR DE LA SCIENCE. – La science donne à celui qui y consacre son travail et ses recherches beaucoup de satisfaction, à celui qui en apprend les résultats, fort peu. Mais, puisque peu à peu toutes les vérités importantes de la science deviennent ordinaires et communes, même ce peu de satisfaction cesse d’exister : de même que nous avons depuis longtemps cessé de prendre plaisir à connaître l’admirable Deux fois deux font quatre. Or, si la science procure par elle-même toujours moins de plaisir, et en ôte toujours davantage en rendant suspects la métaphysique, la religion et l’art consolateurs, il en résulte que cette grande source du plaisir se tarit, à laquelle l’homme doit presque toute son humanité. C’est pourquoi une culture supérieure doit donner à l’homme un cerveau double, quelque chose comme deux compartiments du cerveau pour sentir, d’un côté, la science, de l’autre, ce qui n’est pas la science : existant côte à côte, sans confusion, séparables, étanches : c’est là une condition de santé. Dans un domaine est la source de force, dans l’autre le régulateur : les illusions, les préjugés, les passions doivent servir à échauffer, l’aide de la science qui connaît doit servir à éviter les conséquences mauvaises et dangereuses d’une surexcitation. Si l’on ne satisfait point à cette condition de la culture supérieure, on peut prédire presque avec certitude le cours ultérieur de l’évolution humaine : l’intérêt pris à la vérité cessera à mesure qu’elle garantira moins de plaisir ; parce qu’il s’y attache du plaisir, l’illusion, l’erreur, la fantaisie reconquerront pas à pas leur territoire auparavant occupé : la ruine des sciences, la rechute dans la barbarie en seront la conséquence prochaine ; de nouveau, l’humanité devra recommencer à tisser sa toile, après l’avoir, comme Pénélope, détruite pendant la nuit. Mais qui nous garantit qu’elle en retrouvera toujours la force ?