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Pars, va-t’en loin, comme tu l’as promis. Là. Mets ta tête ici, chez toi. Ne t’engonce pas dans le malheur, ne pense pas à moi tout le temps, je ne veux pas devenir une rongeuse… Je suis obligée de te quitter. Je te serai une autre femme. Va vers elle, trouve-là, donne-lui ce que je te laisse, il faut que cela demeure. Sans féminité, tu ne pourras pas vivre ces heures, ces années, cet arrachement, cette bestialité que l’on appelle si flatteusement, si pompeusement : « le destin ». J’espère de tout mon amour que tu vas la rencontrer et qu’elle viendra au secours de ce qui, dans notre couple, ne peut pas, ne doit pas mourir. Ce ne sera pas m’oublier, ce ne sera pas « trahir ma mémoire », comme on dit pieusement chez ceux qui réservent leur piété à la mort et au désespoir. Oh non ! Ce sera au contraire une célébration, une permanence assurée, un défi à tout ce qui nous piétine. Une affirmation d’immortalité. Il faut qu’elle t’aide à profaner le malheur : nous lui avons témoigné, depuis des millénaires, assez de « respect ». Nous baissons trop humblement, trop facilement la tête devant ce qui nous traite avec tant d’indifférence et de barbarie. C’est pour moi une question de fierté féminine. Presque de survie. Une révolte, une sorte de lutte pour l’honneur, un refus d’être bafouée. Cette sœur inconnue, va à sa rencontre, dis-lui combien j’ai besoin d’elle. Je vais disparaître, mais je veux rester femme…