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Auteur "Roland Barthes" : 14 résultats (sur 3396 citations)

observation

À force de regarder, on oublie qu’on peut être soi-même regardé.

quotation

Car c’est l’un des traits constants de toute mythologie petite-bourgeoise, que cette impuissance à imaginer l’Autre. L’altérité est le concept le plus antipathique au « bon sens ». Tout mythe tend fatalement à un anthropomorphisme de classe. Mars n’est pas seulement la Terre, c’est la Terre petite-bourgeoise, c’est le petit canton de mentalité, cultivé (ou exprimé) par la grande presse illustrée. À peine formée dans le ciel, Mars est ainsi alignée par la plus forte des appropriations, celle de l’identité.
(Martiens)

quotation

Car il y a beaucoup plus à attendre de la révolte des victimes que de la caricature de leurs bourreaux.
(Un ouvrier sympathique)

quotation

Car s’il est heureux qu’un spectacle soit fait pour rendre le monde plus clair, il y a une duplicité coupable à confondre le signe et le signifié. Et c’est une duplicité propre au spectacle bourgeois : entre le signe intellectuel et le signe viscéral, cet art dispose hypocritement un signe bâtard, à la fois elliptique et prétentieux, qu’il baptise du nom pompeux de « naturel ».
(Les Romains au cinéma)

extraterrestre

  Ce qu’il y a de plus significatif, c’est que Mars est implicitement douée d’un déterminisme historique calqué sur celui de la Terre. Si les soucoupes sont les véhicules de géographes martiens venus observer la configuration de la Terre, comme l’a dit tout haut je ne sais quel savant américain, et comme sans doute beaucoup le pensent tout bas, c’est que l’histoire de Mars a mûri au même rythme que celle de notre monde, et produit des géographes dans le même siècle ou nous avons découvert la géographie et la photographie aérienne. La seule avance est celle du véhicule lui-même, Mars n’étant ainsi qu’une Terre rêvée, douée d’ailes parfaites comme dans tout rêve d’idéalisation.
(Martiens)

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Cette inconséquence, bien plus que la trahison ou la cruauté, met le public hors de lui : froissé non dans sa morale mais dans sa logique, il considère la contradiction des arguments comme la plus ignoble des fautes.
(Le monde où l’on catche)

quotation

  D’abord, il n’y a rien de plus irritant qu’un héroïsme sans objet. C’est une situation grave pour une société que de se mettre à développer gratuitement les formes de ses vertus. Si les dangers courus par le jeune Bichon (torrents, fauves, maladies, etc.) étaient réels, il était proprement stupide de les lui imposer, sous le seul prétexte d’aller faire du dessin en Afrique et pour satisfaire au panache douteux de fixer sur la toile « une débauche de soleil et lumière » ; il est encore plus condamnable de faire passer cette stupidité pour une belle audace, bien décorative et touchante. On voit comment fonctionne ici le courage : c’est un acte formel et creux, plus il est immotivé, plus il inspire de respect ; on est en pleine civilisation scoute, où le code des sentiments et des valeurs est complètement détaché des problèmes concrets de solidarité ou de progrès. C’est le vieux mythe du « caractère » c’est-à-dire du « dressage ». Les exploits de Bichon sont de même sorte que les ascensions spectaculaires : des démonstrations d’ordre éthique, qui ne reçoivent leur valeur finale que de la publicité qu’on leur donne. Aux formes socialisées du sport collectif correspond souvent dans nos pays une forme superlative du sport-vedette ; l’effort physique n’y fonde pas un apprentissage de l’homme à son groupe, mais plutôt une morale de la vanité, un exotisme de l’endurance, une petite mystique de l’aventure, coupée monstrueusement de toute préoccupation de sociabilité.
(Bichon chez les Nègres)

quotation

Je veux dire que je ne puis me prêter à la croyance traditionnelle qui postule un divorce de nature entre l’objectivité du savant et la subjectivité de l’écrivain, comme si l’un était doué d’une « liberté » et l’autre d’une « vocation », propres toutes deux à escamoter ou à sublimer les limites réelles de leur situation : je réclame de vivre pleinement la contradiction de mon temps, qui peut faire d’un sarcasme la condition de la vérité.
(Avant-propos)

bon sens

Le bon sens est comme le chien de garde des équations petites-bourgeoises : il bouche toutes les issues dialectiques, définit un monde homogène, où l’on est chez soi, à l’abri des troubles et des fuites du « rêve » (entendez d’une vision non comptable des choses). Les conduites humaines étant et ne devant être que pur talion, le bon sens est cette réaction sélective de l’esprit, qui réduit le monde idéal à des mécanismes directs de riposte.
(Quelques paroles de M. Poujade)

liberté

Le Figaro connaît bien sa bourgeoisie : la liberté en vitrine, à titre décoratif, mais l’Ordre chez soi, à titre constitutif.
(La croisière du « Batory »)

quotation

Les preuves matérielles étant incertaines ou contradictoires, on a eu recours aux preuves mentales ; et où les prendre sinon dans la mentalité même des accusateurs ? On a donc reconstitué de chic mais sans l’ombre d’un doute, les mobiles et l’enchaînement des actes ; on a fait comme ces archéologues qui vont ramasser de vieilles pierres aux quatre coins du champs de fouille, et avec leur ciment tout moderne mettent debout un délicat reposoir de Sésostris, ou encore qui reconstituent une religion morte il y a deux mille ans en puisant au vieux fonds de la sagesse universelle, qui n’est en fait que leur sagesse à eux, élaborée dans les écoles de la IIIe République.
(Dominici ou le triomphe de la Littérature)

jouet

  Que les jouets français préfigurent littéralement l’univers des fonctions adultes ne peut évidemment que préparer l’enfant à les accepter toutes, en lui constituant avant même qu’il réfléchisse l’alibi d’une nature qui a créé de tout temps des soldats, des postiers et des vespas. Le jouet livre ici le catalogue de tout ce dont l’adulte ne s’étonne pas : la guerre, la bureaucratie, la laideur, les Martiens, etc. Ce n’est pas tant, d’ailleurs, l’imitation qui est signe d’abdication, que sa littéralité : le jouet français est comme une tête réduite de Jivaro, où l’on retrouve à la taille d’une pomme les rides et les cheveux de l’adulte. Il existe par exemple des poupées qui urinent ; elles ont un œsophage on leur donne le biberon, elles mouillent leurs langes ; bientôt, sans nul doute, le lait dans leur ventre se transformera en eau. On peut par là préparer la petite fille à la causalité ménagère, la « conditionner » à son futur rôle de mère. Seulement, devant cet univers d’objets fidèles et compliqués, l’enfant ne peut se constituer qu’en propriétaire, en usager, jamais en créateur ; il n’invente pas le monde, il l’utilise : on lui prépare des gestes sans aventure, sans étonnement et sans joie. On fait de lui un petit propriétaire pantouflard qui n’a même pas à inventer les ressorts de la causalité adulte ; on les lui fournit tout prêts : il n’a qu’à se servir, on ne lui donne jamais rien à parcourir. Le moindre jeu de construction, pourvu qu’il ne soit pas trop raffiné, implique un apprentissage du monde bien différent : l’enfant n’y crée nullement des objets significatifs, il lui importe peu qu’ils aient un nom adulte : ce qu’il exerce, ce n’est pas un usage, c’est une démiurgie : il crée des formes qui marchent, qui roulent, il crée une vie, non une propriété ; les objets s’y conduisent eux-mêmes, ils n’y sont plus une matière inerte et compliquées dans le creux de la main.
(Jouets)

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  Tout cela signifie en fait que l’on se croit d’une intelligence assez sûre pour que l’aveu d’une incompréhension mette en cause la clarté de l’auteur, et non celle de son propre cerveau : on mime la niaiserie, c’est pour mieux faire le public se récrier, et l’entraîner ainsi avantageusement d’une complicité d’impuissance à une complicité d’intelligence. C’est une opération bien connue des salons Verdurin : « Moi dont c’est le métier d’être intelligent, je n’y comprend rien : or vous non plus vous n’y comprendriez rien ; donc, c’est que vous êtes aussi intelligents que moi. »
(Critique muette et aveugle)

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Vous pouvez évidemment juger la philosophie au nom du bon sens ; l’ennui, c’est que si le « bon sens » et le « sentiment » ne comprennent rien à la philosophie, la philosophie elle, les comprend fort bien. Vous n’expliquez pas les philosophes, mais eux vous expliquent. Vous ne voulez pas comprendre la pièce du marxiste Lefebvre, mais soyez sûr que le marxiste Lefebvre comprend parfaitement bien votre incompréhension, et surtout (car je vous crois plus retors qu’incultes) l’aveu délicieusement « inoffensif » que vous en faites.
(Critique muette et aveugle)